Rencontre avec Stéphane Bullion

Publié le par Le petit rat

StephaneBullion

 

Le petit rat avait oublié son carnet à la maison, direction la galerie de l'Opéra de Paris. Il n'y a personne j'en profite pour regarder la très jolie collection Zadig et Voltaire pour l'Opéra de Paris... On ne touche qu'avec les yeux... ils sont tout de même très jolis ces t-shirts poudrés, allez voir par vous mêmes.

Salon Florence Gould il est 19h00, Stéphane Bullion et Brigitte Lefèvre entrent et s'installent. Comme à mon habitude je vous retranscris l'entretien.

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Brigitte Lefèvre : Bonjour. On n'a rien préparé, donc on va évoquer certains points. En pensant à Stéphane, je me suis demandée ça veut dire quoi pour toi la danse?

Stéphane Bullion : Est-ce que c'est une passion? un hobby? un métier? Ce n'est rien de tout ça, cela fait partie de ma vie. C'est comme respirer, dormir. Je ne me verrais pas faire sans. Ce n'est pas une question de plan de carrière ou quoique ce soit. C'est essentiel.

Brigitte Lefèvre : La danse est aujourd'hui partout. Elle était dans tous les rites. Est-ce que cela participe dans la société? D'ailleurs les hommes dansent souvent plus que les femmes dans les sociétés.

Stéphane Bullion : Dans les tribus, les hommes dansent, à travers les rituels. On parle toujours de langage du corps, mais en fait c'est quelque chose de beaucoup plus simple. Danser c'est entrer en communion avec les autres. C'est des échanges, des rencontres avec les autres. La danse sert à réunir les gens.

Brigitte Lefèvre : A l'Opéra, la danse est très tôt un investissement. Quand on échange avec les danseurs, on se rend compte que c'est à chaque fois différent. Comment es-tu venu à la danse?

Stéphane Bullion : Par hasard. Personne ne faisait ou n'aimait particulièrement la danse chez moi. C'est ma mère qui m'a proposé de faire de la danse, parce qu'elle trouvait que j'avais un truc. Elle avait aussi proposé à mon grand frère. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai dit oui.

Brigitte Lefèvre : Et tes premières impressions? ton premier cours?

Stéphane Bullion : Après les premiers cours j'avais demandé à changer parce que je trouvais qu'on ne travaillait pas bien.

Brigitte Lefèvre : ça veut dire quoi travailler pas bien?

Stéphane Bullion : Dans beaucoup d'écoles, on ne travaille que pour le spectacle de fin d'année. Moi je voulais apprendre pour apprendre, pas juste pour un spectacle.

Brigitte Lefèvre : Tu avais envie de te montrer?

Stéphane Bullion : Non. Ce n'était pas la première démarche. Je voulais comprendre comment je pouvais me débrouiller avec mon corps.

Brigitte Lefèvre : Bon ensuite tu rentres à l'école de danse..

Stéphane Bullion : oui et c'est un investissement pour toute ma famille du fait de la séparation. Sur ce chemin j'ai eu beaucoup de chance. J'ai rencontré des gens biens, qui n'ont pas voulu me garder pour eux. D'abord j'ai été chez un professeur qui était un ancien danseur de Béjart, puis il m'a envoyé chez René Bon qui à son tour m'a orienté vers l'école de l'Opéra. J'ai toujours eu la curiosité d'apprendre, de voir jusqu'où je pouvais aller. Les choses sont venues petit à petit.

Brigitte Lefèvre : Quels étaient tes camarades à l'école?

Stéphane Bullion : Alice Renavand, Séverine Westermann..

Brigitte Lefèvre : Cette entrée, on y pense tous. On entre dans une relation à l'autre très particulière. On est dans un monde clos.

Stéphane Bullion : D'autant plus clos qu'on est ensemble depuis l'école. On se connaît sans se connaître vraiment. On est pas tous amis. On est des compagnons de route. La scène décuple les sentiments. Je n'ai pas ressenti de rivalité dans la compagnie mais à l'école. L'école est un moment un peu difficile. Pour mes parents c'était une lancée dans l'inconnu.

Brigitte Lefèvre : Ensuite tu rentres dans le Ballet. En tant qu'artiste, comment tu te sens pris par cet aspect artistique? Quels sont tes premiers souvenirs?

Stéphane Bullion : C'est une recherche de tous les jours. Cela n'a rien à voir avec du sport. Mon premier souvenir dans la compagnie, est le sentiment d'être dans un milieu qui me plaisait. Ce mélange de générations est un endroit où l'on peut s'enrichir. J'ai des grands souvenirs avec Wilfried Romoli, Laurent Hilaire, ou Charles Jude. J'ai le sentiment d'être privilégié, d'être au plus près. Je suis témoin, je regarde pour comprendre. Je regarde Nicolas Le Riche construire ses rôles, je cherche à comprendre pourquoi il prend tel chemin plutôt qu'un autre.

Brigitte Lefèvre : Quel est le rôle ou la ballet qui t'as marqué? moi je pense à Ivan...

Stéphane Bullion : J'avais 22 ans quand j'ai dansé Ivan le Terrible.

Brigitte Lefèvre : Grigorovitch voulait Mathilde Froustey. C'était un très grand moment. On a tous été dans une très grande admiration pour ta maturité. Tu as dansé ce ballet à Bastille et en Russie..

Stéphane Bullion : pour les Russes, c'est très important. Ils sont très intransigeants, alors en plus si ça touche à leur histoire. Ils sont traditionnalistes et aiment conserver leurs codes. J'ai redansé en Russie ce ballet dans des conditions particulières, mais c'est un ballet particulier!

Brigitte Lefèvre : oui surtout qu'on ne le dansera plus! (question de droits). Qu'as-tu découvert avec ce ballet?

Stéphane Bullion : J'ai découvert un pays et une culture que j'aime énormément. J'adore Moscou. Cela a été une découverte de beaucoup de choses. Je me suis découvert moi même avec ce rôle. Je ne savais pas que je pouvais incarner un tel personnage, violent même si je trouve Ivan romantique.

Brigitte Lefèvre : Les autres rôles? quels sont ceux qui t'ont construit?

Stéphane Bullion : J'aurai peur d'en oublier. Chaque rôle apporte quelque chose au suivant. Les rencontres sont importantes. Edouard Lock par exemple.

Brigitte Lefèvre : Il écrit des danses d'hommes.

Stéphane Bullion : Oui des danses pour les hommes mais qui rendent les femmes belles. Une autre belle rencontre, c'est Béjart avec La 9ème Symphonie. Cela fait partie des choses marquantes. La générosité de cet homme m'a marqué. J'ai travaillé en tête en tête avec lui pour l'Oiseau de feu. Evidemment, quand on pense à Béjart on pense à Roland Petit.

Brigitte Lefèvre : Ah ces deux grands chorégraphes.. Chacun veut être unique!

Stéphane Bullion : J'apprécie les deux pour différentes choses. J'ai rencontré Roland Petit, par le biais de Morel (Proust).

Brigitte Lefèvre : Je me souviens bien de cette distribution. Roland Petit distribue quelqu'un, à un moment donné il l'aime bien et puis après plus, il le trouve trop grand, trop petit, trop brun,etc... bon et là il t'avait choisi.

Stéphane Bullion : J'ai eu de la chance. Ce qui est important c'est le travail en amont. Les opportunités ne peuvent être saisies que si on est prêt, que si on a travaillé. Par exemple pour la Dame aux Camélias, il fallait être prêt.

Brigitte Lefèvre : oh oui! J'avais deux couples merveilleux en coulisses. Hervé s'était blessé tu l'as remplacé au pied levé et on le voit sur le DVD c'était très beau. Vraiment Bravo!

Stéphane Bullion : En plus c'est un ballet difficile dans le partenariat. Chacun a ses trucs. Là il fallait s'adapter. Agnès a eu une grande facilité d'adaptation.

Brigitte Lefèvre : ça veut dire quoi être un excellent partenaire?

Stéphane Bullion : ça veut dire aider sa partenaire. J'ai beaucoup de plaisir à danser en couple, avec un ou une partenaire. C'est une chance à chaque fois que ce soit avec Agnès, Isabelle ou Nicolas Le Riche. C'est un enrichissement. Un bon partenaire c'est quelqu'un qui met la danseuse en valeur. C'est être présent, donner du soutien par le regard, être à la disposition de sa partenaire.

Brigitte Lefèvre : Parlons un peu de l'actualité. Tu danses Le Loup, qui est selon Roland Petit lui même le rôle le plus dur parce que c'est un ballet très classique et très expressionniste. Hier c'était la première. Comment as tu construit ce rôle?

Stéphane Bullion : C'est un travail d'équipe. Pendant l'interprétation je ne suis pas moi. C'est particulier ce rôle car c'est un langage classique dans les jambes et un rôle de caractère dans le haut du corps. Je finis par être le personnage.

Brigitte Lefèvre : La musique t'aide?

Stéphane Bullion : Oui j'entends les hurlements du loup.

Brigitte Lefèvre : Hier soir Dutilleux était dans la salle. J'ai parlé avec lui de sa partition. Le passage qu'il aime le plus est celui où on entend ces "houououou".

Stéphane Bullion : Oui il y a des hurlements, des grognements, des pas. Cela fait partie de ce qui change sur scène. Il y a une façon de regarder sur scène qui est différente. On est ici dans un conte, c'est l'ambiance du ballet. Il faut donc rester dans un univers théâtral.

Brigitte Lefèvre : Le faune était un de tes premiers rôles...

Stéphane Bullion : oui et cela a tracé une certaine voie en moi. Chez Ghislaine Thesmar, je regardais les vieux programmes de l'Opéra. J'ai regardé Le Faune, Le loup, et aussi Ivan!

Brigitte Lefèvre : Tu vas danser pour la première fois Le jeune homme et la mort. C'est un rôle mythique. Le fait d'avoir dansé Morel et Le loup, cela t'aide?

Stéphane Bullion : Oui même si c'est des rôles différents et éloignés. La narration est le fil conducteur. C'est une aide pour trouver une continuité. C'est un ballet en temps réel. La narration est d'autant plus importante. L'autre dénominateur commun important chez Roland Petit, c'est que ses ballets se vivent au présent. Ce sont des ballets de l'instantané, qui demandent une intensité et un engagement de soi. Il faut mettre du coeur dans chaque pas. Cela est encore plus exacerbé dans Le jeune homme et la mort.

Spectatrice : Vous ne nous avez pas parlé des grands rôles classiques.

Stéphane Bullion : oui mais j'adore Albrecht ou Paquita. C'est un plaisir d'aborder ces rôles. Ce ne sont pas des rôles figés, on peut venir dedans avec ce qu'on est soi même et y apporter quelque chose. On peut y apporter sa sensibilité.

Spectatrice : Quelle est votre part de liberté par rapport à un chorégraphe?

Stéphane Bullion : Très grande. Il y a toujours beaucoup de nuances. Je peux toujours proposer ma façon.

Spectateur : Kaguyahime et sa musique différente?

Stéphane Bullion : Là aussi c'est une rencontre importante. J'avais envie de rencontrer Kylian pour comprendre la personne. Kylian est incontournable. C'est quelqu'un que j'avais envie d'avoir sur mon parcours. Pour la musique, ce n'est pas si différent en fin de compte. Tout est extrêmement musical. Chaque mouvement est placé sur une note et/ou sur sa résonnance. Chaque note est utile aux danseurs.

Brigitte Lefèvre : Les musiciens étaient incroyables. Ils faisaient des exercices physiques tous les jours.

Stéphane Bullion : oui ils frappaient les tambours avec tout leur corps.

Spectatrice : je vous trouve très musical. Comment travaillez vous avec la musique?

Stéphane Bullion : Nous avons la chance d'avoir des chefs de chant qui sont des gens très qualifiés. Je n'hésite pas à aller les voir, à leur demander leur avis.

Spectateur : C'était votre premier défilé comme étoile. C'est une responsabilité?

Stéphane Bullion : Il faut être un exemple dans le travail. C'est une responsabilité. Il faut se donner les moyens d'être à la hauteur du corps de ballet.

 

 

  • Vidéo de la nomination

 

Publié dans Rencontres

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