Rencontre Arop avec Clairemarie Osta

Publié le par Le petit rat

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© Laurent Philippe

 

J'arrive en retard, de quelques minutes, je manque la présentation de Jean-Yves Kaced et les premières questions de Brigitte Lefèvre. E*** me fait un rapide résumé, qui en gros revient à la bio de Clairemarie Osta. Elle a commencé la danse par les claquettes, elle en est d'ailleurs championne de France. Elle entre à l'Opéra de Paris en 1988, elle est nommé étoile en 2002, à l'issue de Paquita. Elle a reçu plusieurs distinctions, dont le Prix de l'Arop, une médaille de bronze à Varna, elle est Chevalier des Arts et des Lettres et Chevalier de la légion d'honneur.

 

Brigitte Lefèvre : Cela a toujours été dans tes projets d'être danseuse ?

 

Clairemarie Osta : J'avais le projet d'être heureuse avant toute chose. Au moment où je me suis tournée vers la danse, c'était une des conditions. Pour être heureuse, j'avais besoin de danser. La problématique était donc comment avec cet art, moi j'existe.

 

Brigitte Lefèvre : Jeanine Monin, qui était ton professeur de danse à Nice, disait "ce sera la première danseuse étoile issue de Nice". Tu le savais non ?

 

Clairemarie Osta : Je ne le savais pas. C'est elle en tous les cas qui m'a fait réaliser que j'allais être danseuse.

 

 

Brigitte Lefèvre : Ah, tu as du oublié, ta maman m'avait dit que tu le savais. La nomination d'étoile, tes rôles, tout cela ce sont encore des souvenirs très vibrants. J'aimerais que tu nous parles de ta façon d'interpréter les rôles. Je sais que tu apprécies beaucoup le travail d'Isabelle Huppert, qui dit souvent qu'avant un rôle, elle est une page blanche que le personnage et son histoire vont venir combler.

 

Clairemarie Osta : C'est très mystérieux. J'ai confiance quand j'aborde un rôle, parce que je ne vais pas avoir à l'inventer. J'ai confiance dans le chorégraphe qui a tellement réfléchi pour créer le rôle. Mon travail de mémorisation est très rapide, parce que finalement, tout cela est inscrit dans la musique, dans le style chorégraphique et parce qu'on les a vus plein de fois. J'écoute les conseils des maîtres de ballet. Et puis il y a une part de medium. Il y a une vibration indescriptible, quelque chose de plus large que je ne pourrais expliquer. Il y a Clairemarie et Manon, par exemple. Clairemarie n'est pas sur scène, elle reste en coulisses. Sur scène je vis vraiment l'histoire de mon personnage. Bon, dimanche, Clairemarie a eu du mal à rester en coulisses ! Il m'a fallu un acte pour que Manon prenne le dessus.

 

 

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© Agathe Poupeney

 

Brigitte Lefèvre : Nous avons eu l'occasion de te voir dans de nombreux rôles. Tu as été la première à danser Tatiana. Quand on est artiste, il y a un moment magique, celui avant que le rideau se lève...Il y a une sorte de cérémonial. Et, quand vous cherchez Clairemarie, normalement, vous le ne la trouvez pas. Pour Onéguine, tu étais assise sur la méridienne, les jambes allongées. Est-ce que tu méditais ?

 

Clairemarie Osta : Pas vraiment. Mais ce moment est comme une seconde naissance. Il y a une attente avant le lever du rideau. Le ballet Onéguine est construit avec une tension particulière, il faut se mettre dans cet état d'esprit.

 

Brigitte Lefèvre : Parlons un peu de technique. C'est quoi pour toi la technique ?

 

Clairemarie Osta : Pour moi, c'est découvrir une langue et son goût, et puis ensuite, c'est atteindre un certaine niveau pour pouvoir s'en servir. Après il faut l'entretenir, pour avoir le plus de possibilités, pour être disponible pour les ballets.

 

Brigitte Lefèvre : Quel est le rôle qui t'a posé le plus de problèmes ?

 

Clairemarie Osta : Ahh ! Je crois que c'est Gamzatti. Je ne l'aimais pas. Je préférais l'autre, non pas ambition ou grade dans les rôles, mais je n'aimais pas ce personnage. Alors j'ai dû me mettre à sa place, me dire qu'elle avait été élevée comme cela, qu'il était normal de vivre ce qu'elle vit avec Solor. J'ai alors pensé qu'il était impossible pour elle de vivre son destin autrement, ce qui me l'a rendue plus sympathique.

 

Question du public : Pouvez-vous nous parler un peu plus de vos relations et méthodes de travail avec Roland Petit, notamment dans Clavigo et Carmen ?

 

Clairemarie Osta : C'était le choix de Roland Petit de me prendre pour Clavigo. Son envie était motivée par rapport au personnage de Marie, qui est l'incarnation du romantisme, de la féminité. Il avait choisi Nicolas (Le Riche, son compagnon à la ville, NDLR) et il fallait que ce soit crédible que je puisse mourir d'amour pour lui. Bien sûr, ce n'est pas si facile, car l'intimité n'est pas la même en scène. Il fallait donc ensuite transcender le rôle. Mais dans le studio, il y avait déjà tellement imaginé dans sa tête. Cela lui est venu très facilement, comme si il l'avait rêvé.

L'autre aspect du travail de Roland, c'est son souci que notre qualité de danseur "classique" soit montré. Pour lui, c'est un dessin esthétique, académique. Par exemple dans Carmen, il joue sur l'en-dedans/en-dehors, et cela a un côté très érotique. Mais pas seulement. Il faut faire une 5ème très provancante par rapport à l'en-dedans, pour montrer la capacité que l'on a de faire cette cinquième. C'est un peu "regardez, je suis capable de le faire, c'est magique !".

 

Brigitte Lefèvre : Roland Petit était un personnage extraordinaire et effrayant ! Il avait une relation compliquée avec les femmes. Il était très marqué par Zizi Jeanmaire. Pour Clavigo, il avait bien sûr choisi son danseur de prédilection qu'est Nicolas Le Riche. Pour le rôle de Marie, il m'avait dit "Vous n'avez pas de danseuse romantique !". Roland Petit n'a jamais pu s'enlever l'image de Zizi.

 

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© Laurent Philippe

 

Question du public : Quels sont vos projets ?

 

Clairemarie Osta : J'ai envie de profiter. Après avoir pris le visage d'autres, le visage de ma vie réelle m'attend. La relation entre danse et transmission m'intéresse beaucoup.

 

Question du public : Qu'est-ce qui a changé depuis que vous êtes entrée à l'Opéra de Paris ?

 

Clairemarie Osta : Je n'ai pas encore fait le voyage en arrière ! D'un côté, il y a l'institution, qui a une mission et cela se passe sans nous. Au moment où on le vit, on a l'impression que c'est à nous. C'est du présent pour nous. Comme toutes les nouvelles générations, on a l'impression qu'on réinvente le monde. On ne fait que passer. Et le temps passe très très vite.

 

Brigitte Lefèvre : C'est vrai qu'on a la sensation que cette maison nous appartient. Je pars dans deux ans et en fait, on a pas le temps de penser au futur. On ne s'en soucie pas. L'heure des bilans sonne très très tard. C'est une maison magnifique, dans laquelle on reste danseur, même si on ne fait que passer. On se sent héritier de quelque chose. On me dit souvent, "vous leur faites tout danser". Je réponds non. On danse des choses différentes. D'ailleurs, comment se situe t-on quand on danse en même temps Robbins et Mats Ek ?

 

Clairemarie Osta : C'est une préparation différente. Il y a une exigence totale dans les deux. On vit un déchirement à chaque fois qu'on quitte un studio pour répéter dans un autre et vice-versa. C'est une manière de se rendre compte de quoi on est capable. On est totalement engagé, on se sent vivant à chaque fois. C'est une alternance qui coûte, pas du point de vue des courbatures, parce que ça ce n'est pas bien, mais c'est quelque chose qui vous apporte beaucoup.

 

Brigitte Lefèvre : Il y a bientôt la tournée aux Etats-Unis. Tu vas y danser Giselle. Chacun a sa Giselle, quelle est la tienne ?

 

Clairemarie Osta : C'est un bon exemple de la réalité de la transmission. Quand on est sujet, on doit porter le reste du corps du ballet. J'étais la plus petite, donc la dernière des Willys. Patrice me disait toujours, "il faut qu'on te voit, sinon il y en aurait une de moins". Ensuite j'ai dansé le rôle des vendangeurs et pour m'échauffer, je dansais le rôle de Giselle. Je vous avais dit "J'espère que vous avez compris".. Je n'ai pas eu de complexe.

 

Question du public :  Nicolas Le Riche a t-il été un partenaire particulier ? Parlez-vous beaucoup de danse à la maison ?

 

Clairemarie Osta : Non, on parle très peu de danse à la maison. Les distributions ne dépendaient pas de moi, j'ai eu beaucoup de partenaires, avec qui j'ai partagé des choses différentes.

 

Brigitte Lefèvre : Pour ma part, je ne tiens pas particulièrement à ce que les couples dansent tout le temps ensemble. C'est important de construire sa propre carrière.

 

Question du public : Vous avez un regard très réfléchi, très structuré sur votre art. Avez-vous eu le désir de chorégraphier vous même ?

 

Clairemarie Osta : Pour l'instant non. J'ai aimé toute ma place comme interprète.

 

Question du public : L'émotion peut-elle être aussi forte quand on est danseuse dans le corps de ballet ?

 

Clairemarie Osta : Oui, il faut s'en persuader ! Blague à part, il y a des transes indescriptibles dans le corps de ballet, quand on danse toutes ensemble et c'est un privilège souvent féminin. Bien sûr dans Giselle, dans Bayadère. Le Lac des cygnes reste bien entendu inégalé. Il y a une vie du groupe, une inertie. C'est une addition d'énergies.

 

Question du public : Comment avez-vous vécu le 13 mai ? D'autant que dans le dernier acte votre personnage meurt.

 

Clairemarie Osta : Quand je danse, je pense que le public vient voir Manon, pas Clairemarie Osta. Là, c'est moi qu'on venait voir. C'était dur. J'avais la frustration de ne pas pouvoir laisser paraître mon émotion intime. Clairemarie était très présente. Tellement, parfois que dans le dernier assemblée, avant de mourir dans les bras de Des Grieux, je me suis dit "oh ben non, j'y vais pas!". Je sais qu'il y a eu un film j'aimerais bien voir mon visage à ce moment là.

 

Brigitte Lefèvre : Tu as été nommée étoile en matinée. Tu as fait tes adieux en matinée, pour tes filles. Elles sont danseuses ?

 

Clairemarie Osta : Non, pas pour l'instant, elles sont trop jeunes.

 

 

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© Agathe Poupeney

Publié dans Rencontres

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