Rencontre Arop avec Laurent Hilaire

Publié le par Le petit rat

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© Anne Deniau

 

Première rencontre AROP pour ce deuxième semestre et c'est Laurent Hilaire qui va partager avec nous, pendant une heure et demi, sa vie de danseur, de maître de ballet, associé à la direction de la danse. Brigitte Lefèvre  commence la conversation, puis ce sont les membres de l'Arop qui la continuent, la directrice assistant à la représentation Robbins/Ek.

 

Brigitte Lefèvre : Je ne cache pas tout l'admiration que j'ai pour Laurent Hilaire. J'étais même une groupie quand il était danseur.

Je voudrais évoquer quelque chose qui m'a beaucoup touché, c'est la transmission du ballet Bayadère. Beaucoup se souviennent de Laurent, héroïque Solor. C'est un rôle extraordinaire, où on imaginait mal quelqu'un d'autre que lui et aujourd'hui, des danseurs nous prouvent qu'ils peuvent prendre la relève. Je suis touchée que ce soit Laurent Hilaire qui transmette, non seulement le rôle de Solor, mais surtout tout le ballet. Il a remonté l'ensemble de la production, pour revenir à ce qui a été fait la première fois. L'objectif est de revenir à l'origine tout en sachant qu'on voyage.

 

Je vais commencer par une question simple : pourquoi as-tu fait de la danse ?

 

Laurent Hilaire : En fait j'ai commencé par la gymnastique. Et puis j'ai déménagé et je suis arrivé dans un club qui était un peu moins bien. J'avais 7 ans et toute l'attention était portée sur moi, notamment en compétition. J'ai aimé ce premier contact avec le public. Ensuite, c'est un concours de circonstance. Un copain de mon frère faisait de la danse et il paraissait que c'était bien. J'ai eu un professeur intelligent qui ne m'a pas gardé pour faire le rôle masculin dans le spectacle de fin d'année. Je suis donc allé passer le concours de l'école de danse que j'ai eu. J'ai eu la chance très tôt de monter sur la scène de l'Opéra, car j'étais petit page.

 

Brigitte Lefèvre : Est-ce que la gymnastique t'as aidé ?

 

Laurent Hilaire : Oui, ça aide à ne pas avoir peur dans les sauts. En gymnastique on n'a pas peur de se propulser. Quand on n'a pas d'appréhension pour sauter et se lancer en l'air, c'est 50% de la réussite d'un pas athlétique.

 

Brigitte Lefèvre : Est-ce qu'il y a un professeur, qui t'a donné plus ?

 

Laurent Hilaire : Oui, il y a Alexandre Kalujni (pardon pour l'orthographe). Il dirigeait la classe d'étoile. A l'Opéra, on prend les cours en fonction de sa classe, quadrille, coryphée, sujet, premier danseur, étoile. Ce professeur m'avait donc proposé de venir. Il était athlète et avait un grand sens de la musicalité. Il m'a appris à sauter sur le 1. Cela veut dire qu'on attend pas le "et" quand on compte 1 et 2. En fait, cela permet de rester plus suspendu en l'air. Il proposait aussi un merveilleux travail d'articulation, de travail du corps. Les gens qui voulaient avancer, allaient travailler avec lui. En tous les cas, c'est toute la base de mon travail, qui m'a permis de tenir jusqu'à la fin de ma carrière dans de bonnes conditions. 

 

Brigitte Lefèvre : Tu as rencontré Noureev dans ce cours, non ?

 

Laurent Hilaire : Oui, toujours dans la classe, j'étais dans mon coin, et là je vois entrer Rudolf Noureev, en sabots, peignoir, bonnet, thermos. Il regarde la salle et vient se mettre à la barre à côté de moi. Je me suis dit "oh ça va être compliqué". Il avait ce regard inquisiteur. Il ne me restait plus qu'à travailler. J'ai travaillé pendant un mois à côté de lui, c'était ma première rencontre avec lui. Il a du voir le danseur que j'étais. quand il est revenu à Paris, il m'a choisi pour danser aux Champs-Elysées pour danser avec Elisabeth Maurin.

 

Brigitte Lefèvre : Je pense que Laurent Hilaire a une sincérité artistique, parce qu'il donne tout ce qu'il sait. C'est sa noblesse, comme dans le rôle de Solor.

 

Laurent Hilaire : Il faut que je vous dise qu'en coulisses, Brigitte me salue comme dans la Bayadère avec la main sur le front ! (rires).

 

Brigitte Lefèvre : ah si tu donnes toutes nos privates jokes ! Revenons à Noureev. C'était un moment très particulier quand il est arrivé à la tête de cette compagnie. Il y avait une ferveur dans la troupe, et en même temps, Noureev a été très rejeté. Et puis, il y a eu cette Bayadère avec ce trio Hilaire/Guérin/Platel et tout le monde a en tête ce trio là. Tu nous as parlé de technique, qu'est ce que tu peux nous dire sur la théâtralité ? Comment tu fais pour transmettre la théâtralité, car il y en a beaucoup dans Bayadère ?

 

Laurent Hilaire : En fait, dans tous les ballets, il y a un schéma qui est très clair, et dans ce schéma, il y a finalement une grande liberté. Je pense à Josua Hoffalt qui a pris possession du rôle et j'ai une grande satisfaction à le voir danser. Je suis retourné aux sources, c'est un mouvement à faire si l'on veut redonner du sens aux choses. Il faut rendre la simplicité comme une évidence. Ensuite les choses peuvent évoluer. On peut faire évoluer un personnage sans le dénaturer.

 

Brigitte Lefèvre : Tu as dansé Le Parc, à sa création. Aujourd'hui, tu le transmets aussi. Tu vois une évolution ? Comment tu appréhendes la technique ?

 

Laurent Hilaire : Il faut s'imprégner de l'ambiance qu'un chorégraphe met sur un plateau, comment il organise le travail. Il faut regarder et se demander quelles sont les priorités. il faut observer la façon dont un chorégraphe s'adresse aux danseurs, comment il leur parle, comment les danseurs s'imprègnent du style. Un danseur a besoin de digérer.

Rudolf Noureev donnait peu d'indications par exemple. Il pensait que la chorégraphie suffisait et nourrissait le danseur. Les ballets de Rudolf sont difficiles, en cela.

D'autre part, il faut toujours se mettre en tête quand on est danseur l'idée d'aller plus loin. Il n'y a jamais aucune économie. Quand on met un pied en scène, l'énergie doit être totale. que ce soit difficile c'est notre problème. On se nourrit de sa propre énergie. C'est à ce moment là, qu'on est suspendu et que c'est magique.

 

Brigitte Lefèvre : Maintenant tu es associé à la direction. Comment ça se passe ? Tu regrettes le temps où tu dansais ?

 

Laurent Hilaire : Je n'ai aucune nostalgie. J'ai fait de belles rencontres. C'est grâce à toi, si à la fin de ma carrière j'ai pu évoluer vers ce métier de maître de ballet. Pour moi remonter un ballet, c'est lui redonner de la vie. Mais se trouver face à 80 danseurs, ce n'est pas facile. On ne cesse d'apprendre. C'est une véritable épreuve que l'on arrive à transcender.

J'ai mis plus de temps à transmettre avec les filles. D'abord parce que la technique de point m'était inconnue. Je n'ai jamais dansé la belle-mère dans Cendrillon.

 

Brigitte Lefèvre : Quand j'ai pensé à toi comme maître de ballet, associé à la direction, Patrice Bart m'a dit que je faisais un très bon choix. Vous êtes différents, dans le style, dans le répertoire. De toutes façons, c'est difficile de satisfaire 154 danseurs, si on y arrivait ce serait extraordinaire, alors on essaye de faire les meilleurs choix.

 

Laurent Hilaire : J'ai des convictions. Je crois qu'elles sont bonnes. C'est un défi que cette fonction. En ce moment dans Bayadère, il faut rassembler autour de soi une dynamique pour faire respirer 32 ombres ensemble. Il faut qu'elles s'écoutent entre elles. Il faut qu'il y ait une résonance entre les danseuses. Chacun doit travailler pleinement et chacun dans ses responsabilités. Je suis très attentif à appliquer mes convictions. On peut demander beaucoup aux danseurs techniquement. Après chaque représentation est un nouvel enjeu. Il faut se fixer un objectif. On doit être à l'écoute de ça. Cet engagement a un intérêt commun. Ainsi la scène devient un carré magique.

Il ne faut jamais perdre de vue qu'on est au service d'une oeuvre, d'un public. Le jour où un danseur perd cette notion là, cela devient un fonctionnaire, au sens péjoratif du terme. On perd le côté artistique.

 

Brigitte Lefèvre : C'est vrai que l'Opéra de Paris est une compagnie reconnue dans le monde entier. C'est sans doute un des plus beaux répertoires au monde. En outre, l'adaptabilité est de plus en plus rapide. il y a quelque chose qui s'inscrit déjà dès l'école de danse. Les danseurs ont déjà beaucoup d'appétit. L'éclectisme c'est quelque chose de fort.

 

Laurent Hilaire : J'étais à la création de In the middle. On allait au delà. C'est un moment qui aide à construire. Au début, on était nombreux, puis peu à peu, cela s'est vidé. Seuls les jeunes sont restés. On avait envie de vivre quelque chose de différent.

 

Question : A l'école française, on travaille beaucoup sur le pied. Qu'en est-il du haut du corps ?

 

Laurent Hilaire : Lacotte apprenait la respiration. Il disait "marquez mais faites les bras". J'insiste désormais beaucoup là dessus. Je pense souvent à l'école russe pour les bras. C'est toujours bien de s'enrichir. J'ai beaucoup dansé au Royal Ballet. Dans les scènes, où le corps de ballet fait un peu décor, tous les danseurs étaient dans leurs rôles. Il n'y avait aucune retenue. Il y a une vraie tradition théâtrale.

Quand on arrive à vivre pleinement comme on vit un rôle c'est une véritable création. Quand on a conscience de soi même, de ce que l'on fait, on arrive à quelque chose d'assez exceptionnel. C'est un état de bonheur, de grâce. Je le souhaite à tous les artistes.

Aujourd'hui, je suis tourné vers le présent et je me passionne pour ce que je fais. Il faut essayer de donner les clefs, sans oublier que l'on peut pas aller plus vite que la maturité, la pudeur. Chaque danseur est différent. Il faut savoir et sentir à quel moment on peut pousser un danseur. Sur scène, on est seul face à ce challenge qu'est une représentation. Il faut donc laisser de l'autonomie à l'artiste, car sur scène, il ne pourra s'en remettre qu'à lui même. Il faut donc aller au delà du confort. En fait, il n'y a pas de règle, donc il faut aller sur la scène, toujours avec le même investissement. Je leur dit souvent de se donner les moyens. C'est un travail de l'esprit. Je vais vous donner un exemple avec Rudolf Noureev. Un soir de décembre Rudolf m'a appelé pour un Gala du 31 décembre. Rudolf n'est pas quelqu'un à qui l'on dit non. Il m'annonce au téléphone toutes les chorégraphies que je devais danser ; plus de trois que je ne connaissais pas. J'ai regardé les vidéos toute la nuit, le lendemain j'ai pris l'avion et le soir je dansais. Je ne me suis pas posé de question parce que je n'avais pas le choix. On peut faire des choses qui nous dépasse. J'ai un souvenir de La Belle aussi avec Sylvie Guillem, où j'avais du me surpasser. La soirée de nomination de Ludmila illustre bien ce que peut être notre métier.

 

Question : Vous avez parlé de Sylvie Guillem. Cela pose la question du rapport avec l'institution. Quel est votre rapport justement avec cette institution ?

 

Laurent Hilaire : Sur le fond ça n'a jamais été un problème. J'ai toujours assumé un côté et l'autre. J'ai réussi à m'organiser. C'était important pour moi d'aller voir d'autres publics, j'avais besoin de rencontrer d'autres choses.

 

Question : Vous avez pensé à quitter l'Opéra ?

 

Laurent Hilaire : Oui une fois pour des raisons de structure. Mais le directeur de l'Opéra de l'époque a su me retenir. Pour revenir à Sylvie, c'est quelqu'un de très entier dans sa façon de partager. Elle ne tire jamais la couverture à elle. On est dans un rapport de vérité, de sincérité avec elle.

J'ai plein de souvenirs de rencontres, de personnes, je pense à Ghyslaine Thesmar, qui est une personne rare, qui parle de la danse avec beaucoup de couleurs. J'ai un souvenir aussi de Pavarotti sur scène qui fut un éblouissement. C'est cela que je cherche. Le meilleur souvenir que j'aimerais laisser c'est l'émotion.

 

Question : Avez-vous fait des découvertes dans la Bayadère ?

 

Laurent Hilaire :  Déjà le tableau ! C'était toujours mon visage dessus ! On y a ajouté le visage de Josua, pour la reprise.

Il n'y a rien de plus essentiel que de revenir à la source. Il a fallu que je me mette dans l'optique de Rudolf. Je reprends les vidéos. Il y a des choses qui évoluent. La chorégraphie se suffit à elle même. Il y a aussi bien sûr le travail du chef d'orchestre, qui met en valeur la musique et avec le ballet c'est formidable.

 

 

 

 

 

 

 


Publié dans Rencontres

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J
Il me semblait bien que c'était le visage de J. Hoffalt (Solor ce soir-là) sur le portait présenté à Gamzatti. (Je pensais naïvement qu'il y avait un portrait pour chacun des interprètes...)
Répondre
L
<br /> <br /> Il y a toujours eu un portrait brun (Laurent Hilaire) et un blond. Et c'est seulement cette année, qu'ils ont mis le visage de Josua Hoffalt (mais seulement le visage ;-)<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Merci !<br />
Répondre
L
De rien !