Artifact... sublime...

Publié le par Le petit rat

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© Johan Persson

 

Des moments suspendus comme j'en ai vécus hier soir, il y en a peu... Sortir d'un ballet avec une telle sensation de plénitude et de joie, c'est quelque chose de formidable. Artifact de Forsythe est un enchantement et je garde encore en mémoire, la musique et quelques unes des deux milles combinaisons de mouvements qui composent le ballet.

 

Artifact, pièce maîtresse du chorégraphe, commence comme dans un songe. Une femme, moitié vieille sorcière, moitié fée, parle. Step inside, step ouside, see, saw, do you remember, will you forget, the rocks, the dust... Ces mots vous hantent encore quand vous en sortez. Un autre personnage étrange fait son apparition, un homme avec un mégaphone, qui parle mais on ne comprend pas tout ce qu'il dit. Au milieu des deux conteurs, une figure lunaire, va donner le pas. Elle est une sorte d'idéal, avec son vocabulaire qu'elle va dicter à la troupe. Elle est intouchable dans son habit de Lune. On ne sait pas où l'on est, on ne connaît pas l'histoire que l'on va nous raconter. On se laisse porter par une scénographie surprenante, aux lumières tantôt éblouissantes, tantôt trop faibles pour distinguer les corps. Forsythe joue avec les codes du théâtre et de la danse, il fait répéter à ses deux acteurs les règles du ballet. Il crée cet univers dans lequel les corps deviennent des objets, des productions d'une activité humaine, des "artefact". Les corps se transforment sous l'influence de cette danse, qui pousse la technique classique à son paroxysme.

 

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© Pascal Gély CDDS

 

Les mouvements d'Artifact se déclinent à la fois sur un plan collectif, où le groupe fait corps, et produit un mouvement général et sur les individus eux mêmes, qui sont soumis à des mouvements parfois violent et exceptionnels en même temps. Les lignes se font et se défont. Forsythe casse les rythmes, les reforment, poursuit le piano, bouscule le violon. Le rideau s'ouvre et se ferme, dérange le regard du spectateur, qui ne sait plus où regarder, sans éprouver pour autant une sensation désagréable, mais plutôt un manque, l'envie terrible d'être derrière ce rideau et de continuer de voir ces corps bouger. Le bruit des chaussons sur le sol, qui eux aussi s'accordent parfaitement, donne l'impression d'une seule unité. Les danseurs sont liés par cette chorégraphie, pas un ne peut se détacher de cette énergie. On sent d'ailleurs le bonheur des danseurs à être sur scène avec avoir ces gestes dans leurs corps. La danse de Forsythe est merveilleuse car elle sait utiliser le langage classique en le brisant complètement, en le rendant exponentiel. Les dos se meuvent, les muscles bougent, c'est une ode à la beauté du corps qui est faite sur scène. Après la Chaconne de Bach, on est complètement ébahi au fond de son siège, un grand sourire aux lèvres. Y*** et moi ne bougeons pas de notre premier rang, enchantés et émerveillés de notre soirée.

 

Après l'entracte (on aurait franchement pu s'en passer...), retour dans notre univers magique, mais cette fois, les danseurs sont encore en tenue de répétition, notre sorcière-fée s'essouffle à répéter les mots, notre homme au mégaphone tente d'en placer une et un décor se construit et se déconstruit. Les corps sont comme des électrons libres, et vont ça et là avec un vocabulaire de gestes qui rappellent les deux premières parties. Tout se détruit une fois encore et se reconstruit. Le décor bâti, les danseurs peuvent à nouveau évoluer dans cet espace, où les corps vont devenir des ombres sur un fond blanc.

 

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© Johan Persson

 

Les mains qui claquent, le piano de Margot Kazimirska, pianiste exceptionnelle qui donne la pulsation, qui joue elle aussi à poursuivre les mouvements ou à les esquiver. Encore des lignes, mais toujours différentes, et ce personnage lunaire, qui dicte des ports de bras, qui évolue librement dans ce groupe habité par son énergie interne.

 

Le rideau se referme, avec une poésie rare. Seule la danse peut procurer de telles émotions, seule la danse sait me faire entrevoir l'intangible. Artifact est un ballet fabuleux, dansé avec une belle maîtrise par le Ballet Royal de Flandres. J'espère qu'à l'Opéra on aura la chance de revoir Artifact Suite, qui est au répertoire, et qui reprend en partie la chorégraphie du premier ballet. C'est un bonheur infini de voir de telles oeuvres dans sa vie.

 

 

 

 

Chorégraphie William Forsythe

Décor, lumière, costumes William Forsythe

Musique Eva Crossmann-Hecht, Jean-Sebastien Bach et montage sonore de William Forsythe

 

Avec les danseurs du Ballet Royal de Flandre

Et les artistes invités Margot Kazimirska, Kate Strong, Nicholas Champion

 

Production Ballet Royal de Flandre

Coréalisation Festival d’Automne à Paris

 

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